Paroles citoyennes
Sur une idée de Jean-Marc DUMONTET
Est-il possible de ne pas voir les contradictions qui traversent notre société ? Peut-on y rester insensible ? L’engagement est-il une valeur en voie de disparition ?
Entre le 12 février et le 20 mars 2018, des artistes engagés jettent un nouveau regard sur les questions sociétales qui nous entourent : la justice, l’Autre, les droits des femmes, notre rapport à l’image. Thématiques actuelles, auteurs contemporains, c’est d’ici et de maintenant que nous parle ce théâtre.
Opportunité de revoir des spectacles rares, qui ont marqué les esprits, les « paroles citoyennes » sont également une invitation à prolonger les débats, à prendre position.
Jusqu’au 20 mars 2018
L’initiative de ce programme qui s’étend sur un mois est à saluer, les thèmes sociétales abordés nous sortent de notre quotidien médiatique nourri aux scandales des célébrités et aux faits divers afin de nous détourner des vrais sujets et causes. Jean-Marc DUMONTET, à la tête de plusieurs théâtres privés parisiens et président de la cérémonie des Molières (à laquelle, entre nous soit dit, je n’ai pas accès faute d’éligibilité) confirme ici sa stature dans le domaine des arts de la scène sur des registres différents. On regrettera toutefois l’absence de certaines sujets de fonds (comme l’homophobie avec le spectacle Les Funambules par exemple) mais on ne peut jamais être exhaustif sur des sujets si vastes.
Ce sont des spectacles à (re)découvrir qui jalonnent cette programmation hétéroclyte suivant un fil rouge axé sur l’interpellation. Le public pourra ainsi voir ou revoir des « trésors » de textes sur scène tel que Les Chatouilles ou la danse de la colère ou bien les Monologues du Vagin dans une nouvelle version. On ne peut pas ne pas aborder les personnalités qui participent à l’événement : Muriel Robin, Pierre Arditi, Thierry Lhermitte, Patrick Timsit, Bruno Solo pour ne citer qu’eux.
Les Chatouilles ou la Danse de la Colère ouvre le bal de façon remarquable et remarquée. Comment une petite nana d’une cinquantaine de kilos peut passer sur son auditoire avec la force d’un rouleau compresseur ? Un auditoire qui prend, malgré lui, les traits d’un thérapeute. Andréa Bescond nous alerte à travers une histoire pleine d’émotion(s) qui tend pourtant à devenir trop banale. Elle nous sensibilise au sens propre comme au figuré sur l’urgence de la situation, sur l’absence d’information de prévention, sur l’indifférence de la plupart de nos dirigeants. Si on pleure autant qu’on rit, c’est que le rire prend la couleur jaune tant il fait écho à l’empathie. Un rire jaune qui se fait témoin de quelques personnages détestables et pourtant bien inspirés de la réalité et à peine caricaturés.
Les Chatouilles ou La Danse de la Colère – Lundi 12 Février 2018 au Théâtre Antoine
D’Andréa BESCOND sur une Mise en scène d’Eric METAYER avec Andréa BESCOND
Spectacle déconseillé aux moins de 12 ans.
Quand la vie fait taire les mots, naissent les paroles du corps : Les Chatouilles, c’est le constat d’un combat pour exister, respirer, survivre, se reconstruire et vivre à nouveau.
L’histoire insolite d’Odette, une jeune danseuse dont l’enfance a été volée et qui se bat pour se reconstruire. A travers une galerie de personnages entre rires et émotions, les mots et la danse s’entremêlent et permettent à Andréa Bescond de transporter le spectateur dans un grand huit émotionnel dont il ne sortira pas indemne.
Éric Métayer met en scène cette « Danse de la colère » dans un parfait équilibre entre texte et chorégraphie. Un rare et grand moment de théâtre !
Molière 2016 du Seul(e) en scène. Prix jeune talent théâtre de la SACD en 2016. Prix du jeune théâtre de l’académie française en 2016. Prix de l’interprétation féminine du festival d’Avignon Off 2014.
Lettres à Nour – Mardi 13 Février 2018 au Théâtre Antoine
De Rachid BENZINE sur une Mise en scène de Charles BERLING avec Charles BERLING et Lou DE LAÂGE
Nour a 20 ans. Elevée par un père veuf, philosophe, elle disparaît un jour pour rejoindre en Irak l’homme qu’elle a épousé en secret, lieutenant de Daech. Pendant deux ans, une correspondance va s’établir entre eux.
D’un côté, un père, musulman pratiquant, épris des Lumières, persuadé que sa fille est pétrie des valeurs de liberté, de tolérance et de démocratie qu’il a toujours défendues.
De l’autre, une jeune fille qui justifie sa révolte par la trahison de ces mêmes valeurs par un « Occident » qu’elle décrie et qu’elle entend renverser par un ordre et un monde nouveaux.
Terrible et bouleversant échange entre ces deux-là qui, au-delà de l’horreur et de l’incompréhension, gardent intact ce mince filet que l’on appelle l’amour.
Inconnu à cette adresse – Dimanche 18 Février 2018 au Théâtre Antoine et Mardi 6 Mars 2018 au Comédia
De Katherine KRESSMANN TAYLOR sur une Mise en scène de Delphine De MALHERBE avec Thierry LHERMITTE et Patrick TIMSIT (Théâtre Antoine) ou Stéphane GUILLON et Bruno SOLO (Comédia)
Entre le 12 novembre 1932 et le 3 mars 1934, deux amis et associés échangeront dix-neuf lettres. L’un, Martin Schulse, est Allemand, marié et père de trois enfants. L’autre, Max Eisenstein, est célibataire, Américain, d’origine juive.
Ces lettres racontent la complicité profonde et joyeuse entre deux êtres humains, la montée du nazisme, le cortège de haines et d’angoisses qui l’accompagne. Au fil de la correspondance, le ton devient plus sec, l’humanité disparaît.
Les trajectoires individuelles sont broyées par l’Histoire. Qui est le bon ? Qui est le méchant ? Qu’aurions-nous fait à leur place ? Le courage suffit-il à contrer l’air du temps ? Et quand l’horreur advient, le pardon est-il préférable à la vengeance ?
L’Être ou pas – Lundi 19 Février 2018 au Comédia
De Jean-Claude GRUMBERG sur une Mise en scène de Charles TORDJMAN avec Pierre ARDITI et Daniel RUSSO
Un jour, deux voisins qui ne se parlaient pas se croisent. L’un, pressé par sa femme, accro à Internet, accoste l’autre. « Vous êtes juif ? ».
Et voilà que cette question ouvre les vannes d’une avalanche d’autres questions qui cherchent à savoir ce qu’est un juif.
Et voilà que ces questions n’en finissent pas parce que le bout de la question est difficile à atteindre… Jusqu’où celle qui en coulisse depuis son ordinateur pousse à la question ira-t-elle ?
Jusqu’où son interrogateur de mari ira-t-il ? Jusqu’où l’interrogé ira-t-il ? Jusqu’où iront-t-ils pour en finir avec cette question ?
Atomic Alert – Vendredi 23 Février 2018 au Studio Comédia
De La Compagnie AsaNisiMAsa sur une Conception de Thomas RATHIER et Frédéric SONNTAG avec Amandine DESWAMES, Claire DUMAS, Jérémie SONNTAG, Alain CARBONNEL, Frédéric SONNTAG
Ce spectacle est un détournement.
Le temps d’une séance de postsynchronisation, cinq comédiens doublent les personnages de films de fiction, de documentaires, de films d’archives américains des années 50. L’ensemble est remonté pour composer une nouvelle fiction. De nouveaux dialogues sont appliqués en direct aux images, pour créer une série B « catastrophe ».
Le détournement est également politique. Ici, les extraits de films ne sont pas choisis au hasard : ils sont le reflet d’une Amérique qui tente d’imposer des idées, des modes de pensée et des valeurs qui rayonneront tout au long de la seconde moitié du XXème siècle. Ce sont ainsi la peur de l’autre et la manipulation des masses à travers les médias qui sont évoquées.
Détourner les images de leur contexte, les vider de leur sens pour leur en imposer un autre, c’est les mettre à distance, c’est opérer le décalage qui permet de mieux les questionner, de mieux en éprouver l’échelle de significations, tout en mettant en scène leur possible manipulation.
L’événement – Lundi 26 Février 2018 au Théâtre Antoine
D’Annie ERNAUX sur une Mise en scène de Françoise GILLARD avec Françoise GILLARD
Dans L’Événement, Annie Ernaux raconte en détail et avec le recul de plusieurs décennies trois mois de sa vie, entre octobre 1963 et janvier 1964 ; trois mois séparant la période où elle se découvre enceinte et les jours qui suivent son avortement. Trois mois durant lesquels sa résolution se heurte aux préjugés, à la morale et à la violence d’un monde façonné par la domination masculine. Face à une « faiseuse d’anges », elle décrit comment elle s’est sentie naître en tant que femme. La nécessité de son récit ne vient effacer qu’une seule culpabilité : celle que cet « événement » lui soit arrivé et qu’elle n’ait pas pu, pendant si longtemps, l’inscrire dans un geste d’écriture, afin de le partager.
Pour Denis Podalydès, « Annie Ernaux (…) sait rendre compte du réel sans majuscule. Nous nous identifions immédiatement. L’Événement, c’est un récit d’une immense simplicité et d’une immense portée. Il y a du comique et du tragique. Ça raconte un avortement dans les années 1960, à l’époque où c’était interdit, où les femmes se trouvaient seules et démunies dans cette situation. Livre tout à fait inactuel, tout à fait actuel. Je relisais ce texte il y a un an et j’ai pensé que Françoise Gillard devait le jouer ou le dire. Je ne sais pas dire exactement pourquoi. Cela m’a paru évident. Je la voyais tenir ce petit livre et entrer dans cette histoire, en l’incarnant sans forcer, avec autorité et pudeur, à mi-distance. Il y a chez certaines actrices un tact, une réserve, une apparente discrétion qui n’empêchent nullement la puissance expressive, bien au contraire, et leur permet de faire entendre, dans la délicatesse de leur voix, le calme de l’écoute qu’elles imposent, la sourde révolte, l’énergie subversive qu’un tel texte contient. »
Les Monologues du Vagin – Jeudi 8 mars 2018 à Bobino et Lundi 12 mars (V-day) au Comédia
D’Eve ENSLER sur une Mise en scène de Coralie MILLER avec Muriel ROBIN, Carole BOUQUET et Anne LE NEN pour le théâtre Bobino ou Sophia ARAM, Catherine ARDITI, Juliette ARNAUD, Stéphanie BATAILLE, Wendy BOUCHARD, Nicole CALFAN, Christelle CHOLLET, Eden DUCOURANT, André FERREOL, Charlotte GACCIO, Delphine HORVILLEUR, Chloé JOUANNET, Rachel KAHN, Sandrine ROUSSEAU, Alison WHEELER et la participation exceptionnelle de François BERLAND, Christophe GIRARD et Raphaël GLUCKSMANN pour le Comédia
Après avoir recueilli la parole de plus de 200 femmes à travers le monde, Eve Ensler crée, en 1996, un spectacle sur l’intime féminin. Partant de questions directes (« quel rapport entretenez-vous avec votre vagin ? »), l’auteure pose des mots sur ce qui n’était pas dit, mettant ainsi à jour la dimension politique et culturelle de la sexualité féminine.
Le vagin n’est pas seulement un organe. C’est le lieu des fantasmes, des tabous, des interdits. C’est à la fois l’origine du monde et le mobile d’insupportables violences.
C’est l’image du combat mené par les femmes pour obtenir droits, respect et reconnaissance, en tout temps et en tout lieu.
Plus de 20 ans après sa création, et après avoir rencontré le succès dans plus de 140 pays et en 48 langues, ce spectacle n’a rien perdu de son actualité. Saisissant, souvent troublant, parfois hilarant, il est un cri de liberté poussé sur une scène de théâtre.
La mise en lecture de Coralie Miller révèle des textes inédits et renouvelle la promesse initiale de l’oeuvre d’Eve Ensler : donner à voir, à entendre et à vivre la féminité, toute la féminité. Avec ses exubérances, ses violences, ses mystères, ses bonheurs, ses douleurs et ses révoltes.
Servie par une distribution exceptionnelle, cette nouvelle version des Monologues du vagin continue à déconstruire les stéréotypes avec force.
Dreck – Lundi 12 Mars 2018 au Théâtre Antoine
De Robert SCHNEIDER sur une Mise en scène de Charles BERLING avec Alain FROMAGER
Il dit s’appeler Sad, cet Irakien qui a abandonné son pays en guerre pour gagner l’Allemagne, où il vend des roses pour survivre. Mais peut-on le croire ? Sa confession est truffée de mensonges et de reniements qui égarent sur sa sincérité. Il ne possède qu’« une chaise pour patrie » et se définit lui-même comme un « barbare », croquant des oignons crus comme des pommes…
Lorsque la norme devient la règle, l’« autre » symbolise toujours une menace : immigré ou clandestin, il est la cible de toutes nos suspicions. Avec Dreck, Robert Schneider offre une voix puissante à ces êtres à la marge, parfois invisibles. Après une première mise en scène en 1997 au Théâtre National de Strasbourg, Charles Berling renoue, sous la forme d’une lecture, avec ce monologue aux questionnements assourdissants, dont le sujet reste plus que jamais d’actualité.
Destinées – Lundi 19 Mars 2018 au Studio Comédia
De Noëlle CHATELET pour La Dernière Leçon, Denise CHALEM pour Refus, Penda DIUOF pour La Piste, Julie GILBERT pour J’aurais préféré avoir un flingue braqué sur ma tempe, Camille LAURENS pour La scène et Meriem MENANT (Emma la Clown) pour Retour au Mammouth
« Il me semblait par moment être un ovni en Namibie. Ni vraiment femme car je voyageais seule. Ni vraiment noire car j’avais les moyens de voyager ». Plus près de nous, il y a aussi ce voyage quotidien dans le RER, obligeant les femmes à être grises, transparentes, à vivre les yeux baissés. Malgré la menace de perdre son travail, tenir bon : « arriver à l’heure, arriver plus, plus qu’à l’heure ». Jusqu’à la mort ? Jusqu’à ce jour fatidique, impossible à oublier où votre propre mère vous annonce avoir choisi la date de sa mort et vous entraine avec elle pour une dernière leçon. Et si on voyage dans le temps, qu’est-ce qu’on retient de la leçon de courage du néanderthalien ? « Qu’est-ce qu’il fait le néanderthalien, lorsqu’il a peur ? Il prend son gourdin à deux mains et il affronte le mammouth !!! ».
Lors d’une soirée, entre rire et émotion, six auteures se passent le relais et partagent avec nous ce moment, ce jour, cette heure, où, soudain, il leur a paru urgent de ne plus se taire. Impérieux refus d’embrasser une destinée toute tracée.uand la vie fait taire les mots, naissent les paroles du corps : Les Chatouilles, c’est le constat d’un combat pour exister, respirer, survivre, se reconstruire et vivre à nouveau.
Une Longue Peine – Mardi 20 Mars 2018 au Comédia
Mise en scène de Didier RUIZ avec André BOIRON, Annette FOEX, Louis PEREGO et Alain PERA
Alain, André, Eric et Louis ont entre 50 et 74 ans. Ils ont chacun vécu entre 14 et 35 ans en prison. Annette, compagne de Louis, a traversé huit années de parloir.
Ils sont restés enfermés pendant de nombreuses années. Ils ont vécu dans un autre monde, une autre société, avec d’autres règles. Comment peut-on parler ensuite de ce voyage souvent honteux, souvent tu ?
Ceux que l’on nomme les « longues peines » nous font part de cette étrange parenthèse avec leurs mots, leur poésie, leurs émotions. Une longue peine, comment ça se raconte ? C’est étrange, ce mot qui signifie punition et chagrin en même temps.
Il y a ceux qui sont sortis mais il y a aussi celle qui a attendu dehors, la compagne, qui raconte son enfermement à elle. Comment tous ont été emportés par cet abime de la disparition, du passage à l’ombre.
Sortir du silence, donner à entendre, ouvrir des portes, des espaces d’échanges et de réflexion.
Le théâtre est le lieu de la parole. De toutes les paroles. Le théâtre est le lieu du partage. Partageons avec eux. Leur présence sur le plateau, leurs paroles qui résonnent vers les cintres, leur dignité qui illumine le public. Regardons-les en face. Regardons-nous.
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