Lettre ouverte à Madame la Ministre de la culture

LETTRE OUVERTE A MADAME ROSELYNE BACHELOT, MINISTRE DE LA CULTURE

Madame la Ministre,

Depuis plusieurs jours, de plus en plus d’incompréhensions se font écho dans le domaine de la culture. En effet, si les acteurs de la culture ne remettent pas en cause la nécessité d’agir pour tenter de limiter la propagation d’un virus nouveau, ce sont les décisions qui sont prises arbitrairement en faveur de certains secteurs et en défaveur d’autres comme la culture qui font réagir.

Vous avez indiqué, vous-même, qu’il n’existait aucun cluster dans les espaces dédiés à la culture alors que ces derniers avaient pu rouvrir le temps d’un répit. Pourtant ceux-ci sont, à nouveau, les lieux qui doivent fermer bien que le nécessaire avait été fait pour protéger le public. A l’inverse, les lieux de culte sont autorisés à accueillir du public dans une configuration identique. Où se trouve la laïcité de l’Etat ?

Vous autorisez l’ouverture de commerces pour sauver Noël quand les grandes enseignes ouvrent de façon anarchique sans aucun respect des jauges minimum, sans aucun respect des distanciations et où chaque consommateur peut toucher et reposer un produit. « Sauver Noël » !? Pourquoi ne pas dire sauver le commerce ? Dans un pays qui voudrait imposer sa différence culturelle, vous imposez votre similitude capitaliste de nos voisins en envoyant le message « Le meilleur cadeau que vous puissiez faire à vos proches ne peut être que matériel. » Autre message envoyé, toute cette culture n’est, pour aller plus loin, pas vitale. Pourtant, de tous temps, l’homme a toujours eu besoin de culture, il n’y a qu’à remonter aux grottes de Lascaux, aux grandes tragédies grecques, aux écrits de toutes les époques pour s’en faire témoin.

J’en viens à cet aspect matériel abordé juste avant. Vous promettez des aides financières aux secteurs touchés. Je ne remets pas en cause ces aides nécessaires. Elles permettent de pouvoir subvenir à certains besoins. Toutefois je m’interroge sur leur efficacité sur le long terme d’autant, qu’à l’avenir, la culture continuera, sans doute, d’être le secteur qui paiera pour les manquements d’autres secteurs ? Autre point, ces aides ne remplaceront pas le besoin vital qu’a un artiste de partager son art. Un soutien financier est important, il ne remplace pas la passion, il ne comble pas le manque et l’envie qui prend aux tripes. A moins d’être médiatisée et de toucher toute sa vie des droits d’auteur sur une œuvre, la très grande majorité des acteurs de la culture ne gagne pas des fortunes, loin de là. Mais ils en étaient conscients en choisissant cette branche. C’est la passion qui les a animé, le besoin de divertir, de créer, de partager et surtout de toucher au cœur le public, pas l’appât du gain. Vous privez la culture de cette volonté de toucher (sans contact) le cœur.

Vous pouvez donner des indemnisations pour leur permettre de vivre. Mais « vivre », est-ce simplement attendre ? Est-ce se résigner ? Une vie de Bohème comme on disait encore il y a peu de temps.

 

La culture est partout, elle nous entoure à chaque instant, quand nous avons une chanson qui résonne le matin dans notre tête, quand nous ouvrons un livre, quand nous allumons un poste de télévision ou de radio, quand nous lisons une page internet, quand nous regardons une photo, une peinture, une sculpture. Une vie sans culture serait-elle possible ? Peut-on s’imaginer un monde sans musique, un monde sans distraction. Un monde où une fois rentré chez soi après le travail (pour ceux qui en ont encore un), tout ce qui resterait à faire serait la cuisine, le ménage et regarder les seuls programmes TV encore possible : des journaux télévisés anxiogènes ou des programmes de TV-réalité abêtissants tels que « Les reines du shopping ». Le sport étant lui -même quasiment relégué à peau de chagrin.

Non-essentiel : voilà une expression qui ne cesse de malmener l’esprit des acteurs de la culture. Quand vous interdisez la vente de livres, de CDs et de films. Quand on voit comme j’ai pu le voir un espace culture d’un supermarché entouré de barrières, on est effondré. L’image est forte : les livres sont mis en cage. Non-essentiels. Mais la vente d’alcool, de jeux à gratter ou autre article électroménager à la mode reste autorisée. L’alcool, dont les dommages sur la santé ne sont plus à établir est plus essentiel que la culture qui favorise un bon état de santé générale. Comment pouvez-vous dire protéger la santé des français avec de telles incohérences ? Combien de personnes sont soignées avec l’aide du divertissement, combien de personnes sont accompagnées dans la mort avec la culture pour seul compagnon afin de calmer leur souffrance ? Chaque jour, vous nous assommez des derniers chiffres autour de l’épidémie en cours. Mais combien de personnes sombrent et sombreront dans la dépression ?

Vous étiez prête à revenir au gouvernement si on vous proposait le ministère de la culture. Vous l’avez eu. Si vous êtes aussi amoureuse de la culture que vous le dites, revoltez-vous également. Ne devenez pas la potiche de ceux qui vous ont placé ici pour soigner leur image. Sinon quelle est l’utilité de votre ministère ? Pourquoi ne pas en placer l’ensemble de ses salariés, vous y compris en chomâge partiel ? Ce n’est pas les propositions faites qui changeraient quelque chose. Celles-ci n’ayant jamais vu le jour (dérogation pour le couvre-feu, réouverture anticipée…)

Une réelle amoureuse de la culture œuvre pour la culture dans la fonction qui lui incombe. Être ministre d’un tel secteur n’est pas se contenter d’aller au théâtre et à l’opéra ou de se montrer sur les plateaux TV. Ça demande bien davantage d’efforts que d’être spectateur ou comédien. Autrement, beaucoup pourraient demander cette fonction. Ce n’est pas non plus faire l’autruche ou feindre de ne pas entendre.

 

Quelle est ma légitimité de vous écrire une lettre ouverte quand nombreux sont ceux qui l’ont déjà fait avant moi alors que je ne suis qu’un rédacteur en chef d’un petit blog cuturel digital ? Le 9 juillet, j’ai écrit à votre ministère lors de votre nomination au poste de ministre de la culture en vue d’une interview avec vous. J’étais le premier à croire en votre capacité à sauver la culture. Votre service presse m’a répondu le jour-même de ma demande de bien vouloir m’envoyer un dossier complet sur le dispositif que je désirerai et les questions que je souhaiterai poser à Madame la Ministre. Je me suis mis à la tâche laissant tout le reste de côté pour vous répondre dans la soirée… Aucune réponse par la suite de la part de vos services. J’ai envoyé une relance le 23 juillet à laquelle j’ai reçu la réponse suivante « Nous avons bien reçu vos questions et votre demande. Nous reviendrons vers vous au plus tôt, dès que nous pourrons vous faire un retour plus précis. » Depuis, c’est le silence total. Je suis bien conscient que je ne réalise pas les audiences des plateaux TV que vous chérissez mais une réponse qu’elle soit favorable ou défavorable (si mes questions vous dérangeaient) aurait été le moindre des respects dont une institution comme la vôtre doit faire preuve. Vous m’avez fait perdre mon temps à travailler sur quelque chose à laquelle vous n’avez pas daigné prendre 2 minutes pour répondre. J’avais passé sur ce point mais vous faites aujourd’hui de même en ayant fait travailler un secteur pour une reprise le 15 décembre avec l’énergie, la passion, l’espoir et les moyens financiers qui vont bien pour les mépriser ensuite. Soit, vous aviez émis des conditions sur cette date mais à côté de cela, vous envoyiez des signaux positifs (dérogation au couvre-feu, protocole sanitaire strict renforcé, autorisation de reprendre les répétitions) qui laissaient penser que cette réouverture aurait bien lieu. Vous avez laissé des gens travailler dans la plus grande indifférence. Ne remettant toujours pas en cause les masses agglomérées de consommateurs vues sur différents médias devant des enseignes de prêt-à-porter ou de fast-food. Ne remettant pas en cause la réouverture des lieux de culte d’où les principaux clusters sont partis, rappelons-le.

Autre point qui me donne, à mon sens, une certaine légitimité quand je n’ai pas pour habitude de faire du militantisme : j’essuie à chaque nouveau coup de massue infligé par le gouvernement à la culture les larmes des acteurs de ce domaine mais aussi de certains de mes abonnés spectateurs. Combien de larmes avez-vous essuyé ? Combien de personnes avez-vous regarder en face alors qu’ils s’effondraient ? Je reste convaincu que politique et humanité peuvent faire bon ménage mais l’image que vous donnez en ce moment est que politique et business sont les mamelles de notre société.

Vous laissez au bord du gouffre un nombre incroyable de personnes de tous horizons, de toutes classes économiques, de tous revenus, de toutes convictions politiques et religieuses, de tous âges… je pourrai aller encore plus loin dans les diversités mais vous avez compris le propos.

Laisser s’installer tant de désespoir est tout bonnement inhumain et il est insultant de vous présenter encore face caméra tout sourire.

Vous laissez des professionnels se démener depuis des mois, refaire leurs agendas à grands coûts ? Savez-vous au moins combien coûte un report de sortie en salles de cinémas pour un distributeur ? Je ne parle de grands distributeurs qui s’en sortiront malgré le coût prohibitif mais  de distributeurs plus modestes tels que Le Pacte, Memento Films pour qui c’est catastrophique.  Savez-vous combien il est compliqué et coûteux pour un théâtre de toujours réorganiser sa billetterie ? Savez-vous ce qu’est un attaché de presse ? Combien de productions mettent la clé sous la porte en ce moment ?

Et la seule réponse que vous ayez : « Il faut se réinventer ». Comme si ce n’était pas le propre de la culture de sans cesse se réinventer. Il est évident qu’il n’existe pas de département « recherche et développement, » chez un compositeur par exemple, pour se réinventer. La culture crée et rêve pour faire rêver. Elle n’a pas attendu l’instruction de « se réinventer » pour le faire, elle l’a toujours fait.

Êtes vous prête à assumer un monde sans rêve ?

 

Pour conclure, je vous invite à vous pencher sur cette citation d’Antoine de Saint-Exupéry : « L’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur. »

 

Aurélien CORNEGLIO.

La présente lettre a été envoyée à Madame la Ministre le 14 décembre 2020 par nos soins.

Reply

Leave a comment.